Après la divulgation de la répartition de licences de casinos A et B, les réactions se multiplient en Suisse romande. A la joie des promoteurs du Casino de Granges-Paccots (FR) répond la profonde amertume du maire de Bienne, qui devra faire fermer le sien. Directeur de la Loterie romande, Philippe Maillard ne digère pas l'éviction complète de la Romande des Jeux de la nouvelle carte des casinos

Le profil bas, c'est fini. Si la Romande des Jeux a mis jeudi une sobriété de boxeur sonné à «regretter de n'avoir reçu aucune concession de casino», l'heure est déjà à la contre-attaque. Vendredi, Philippe Maillard, directeur de la Loterie romande et véritable stratège de cette Romande des Jeux aux ambitions de régulateur des paris romands, ne masquait plus sa révolte. Entretien.

Le Temps: Comment réagissez-vous à l'éviction de la Romande des Jeux?

Philippe Maillard: Les dés étaient pipés! A l'origine, j'ai une formation de géographe, et en tant que tel je suis fasciné par l'énorme tache blanche qui marque la zone entre Genève et Berne sur la carte des nouveaux casinos. Rien dans tout le Nord vaudois, rien dans le canton de Neuchâtel, plus rien en Ville de Bienne… Si l'objectif est de drainer un maximum de fonds vers l'AVS, c'est totalement contradictoire. La seule explication plausible, c'est que la Confédération a délibérément flingué les casinos dépendant prioritairement des collectivités publiques. Je ne parle même pas de la Romande des Jeux, c'est tout aussi évident en ce qui concerne les villes de Genève et de Bienne.

– Vous ne croyez pas à l'objectivité des critères de choix?

– J'entends bien que la Commission fédérale des jeux nous dise exactement ce qui a dicté ses choix. Je veux que les critères finaux utilisés soient parfaitement éclairés. Quel attrait touristique justifie l'attribution d'un casino à Courrendlin? Quelle rentabilité fait préférer ce projet-là à celui présenté par La Chaux-de-Fonds? Pourquoi a-t-on dit que les casinos B devraient avoir un revenu brut des jeux de l'ordre de 20 millions de francs, alors qu'il y en a sept – Arosa, Davos, Courrendlin, Zermatt, Crans-Montana et Saint-Moritz – qui ne s'en approchent même pas!

– N'y a-t-il pas eu des faiblesses dans vos dossiers, comme l'a laissé entendre le président de la Commission des jeux, Benno Schneider?

– J'attends qu'on me démontre ces prétendues faiblesses. On nous fait passer pour des rigolos incompétents, alors que notre partenaire Holland Casino est retenu dans le projet de Lugano, auquel il participait aussi. Bizarre, non? Holland Casino, qui a aussi mis en route le Casino de Montréal – situé dans le top 20 d'Amérique du Nord. Je ne crois pas que nous étions moins bons que le groupe Barrière, qui a imposé Montreux en n'ayant à proposer qu'une rentabilité à la française, qui est notablement inférieure à celle des casinos hollandais.

Au passage, concernant le Casino de Montreux, je note que toute concurrence lui a soigneusement été épargnée, à part Fribourg. Là, c'est un fief démocrate-chrétien, Ruth Metzler ne pouvait quand même pas y toucher… Mais on va pouvoir vérifier si Montreux atteint ses objectifs surévalués. Que se passera-t-il si ce n'est pas le cas? où sera la sanction?

– N'était-il pas arrogant de la part de la Romande des Jeux d'agir seule, sans s'entendre avec des casinos comme Montreux ou Genève?

– Les statuts de la Loterie romande lui interdisent de participer à un projet qui ne viserait pas à 100% un but d'utilité publique. Il nous était ainsi impossible d'envisager une participation croisée avec Montreux. Avec Genève, les choses auraient pu être différentes, mais là c'est une question de personnes. André Hediger a une vision de l'utilité publique qui s'arrête à la Versoix, la nôtre englobe toute la Romandie.

– Pourquoi la Confédération aurait-elle pris la décision d'écarter les casinos en mains publiques?

– Pour des raisons politico-idéologiques. Madame Metzler s'en tient mordicus à une interprétation de la votation de 1993, selon laquelle les Suisses auraient voulu une gestion libérale des jeux. C'est faux. La libéralisation des jeux a été admise, mais tous les sondages que nous avons faits démontrent que la population accepte que l'argent du jeu soit considéré comme une sorte de ponction fiscale. A l'inverse, la Confédération a suivi la logique alémanique dominante, qui se fiche de toute considération sociale. Sinon, pourquoi nous écarter, alors que la Confédération reconnaît que notre projet de lutte contre la ludomanie est le seul valable?

– Et la défense du produit fiscal confédéral?

– L'argument a certainement pesé. Flinguer l'utilité publique revient à éviter des dégrèvements fiscaux, et Berne y a visiblement pensé. Mais là encore c'est contradictoire. Tout le monde sait que les Casinos de Divonne et d'Evian avaient peur de Lausanne, pas de Montreux. A leur place, j'aurais fait un feu d'artifice jeudi. Ce sont des millions qui vont continuer à échapper au fisc suisse pour être perdus en France.

– Estimez-vous avoir été bien soutenus par les cantons romands?

– (silence) Bon… On a peut-être surestimé le poids et l'ardeur que les cantons pouvaient investir dans la défense de ce dossier. Il n'empêche qu'ils ont tous avoué que le modèle proposé par la Romande des Jeux leur convenait. Avec les projets privés qu'ils avaient sur leur territoire, ils ont cru qu'ils n'auraient pas la possibilité de s'impliquer davantage. Mais là, je crois qu'ils n'ont pas vu passer le puck: car la population trouve obscène que des privés s'enrichissent avec l'argent du jeu.

– Le revers que la Romande des Jeux essuie aujourd'hui préfigure-t-il une attaque contre la Loterie romande elle-même?

– En ce qui concerne les loteries, la Confédération a aussi son projet. Le mot «concession» a déjà été prononcé. S'il s'agit d'une redistribution sur le modèle de ce qui a été vu jeudi, et cela augure plutôt mal de notre avenir: il faudra nous défendre.

– Comment voyez-vous l'avenir de la Romande des Jeux?

– Je ne la vois pas se dissoudre dans l'immédiat, ne serait-ce que parce que les cantons doivent justement rester vigilants pour sauver leur loterie, et garder cette structure de régulateur des paris (gaming-board) que nous avons cherchée. Il y a aussi quelques autres problèmes à régler, comme la revente du Château d'Ouchy.

– Un Château qui a coûté combien?

– Il a bien coûté 34 millions, mais pas un sou d'argent public. Le financement de la Loterie romande est entièrement privé.

– Pourquoi vous battre encore, alors qu'il n'y a pas de recours ouvert contre les décisions de jeudi?

– Je vais volontiers admettre que je suis un mauvais perdant. Je veux que toutes les incohérences de l'attribution des concessions soient exposées au grand jour.

(source : letemps.ch/Laurent Busslinger)

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Avant l'attribution des concessions pour casinos A, le groupe Lucien Barrière achète la totalité de la part de capital de l'établissement

«Désormais nous som-mes les meilleurs», s'exclame Stéphane Perrin, président du conseil d'administration du Casino de Montreux. Pour l'établissement de la Riviera vaudoise, la concurrence acharnée à laquelle donne lieu la prochaine attribution des concessions pour maisons de jeu a produit un changement spectaculaire: le groupe français Lucien Barrière, qui détient quatre des dix plus grands casinos du territoire français, est devenu actionnaire majoritaire, après avoir acheté la totalité de la part de capital (69%) de Montreux Palace SA, société elle-même détenue en majorité par Sairgroup.

Un grand nom du tapis vert

En passant ainsi aux mains d'un grand nom du tapis vert, le Casino de Montreux estime avoir considérablement renforcé son dossier, à quelques mois maintenant de la décision que prendra la Commission fédérale des jeux quant à l'attribution des concessions pour casinos A et B (Kursaal). «Cette alliance avec un grand professionnel nous apporte l'expérience qui nous manquait dans les jeux de table. Elle va bien au-delà de nos espérances», souligne Yves Montandon, le directeur du casino montreusien.

Hans Wiedemann, qui est le «managing director» du Montreux Palace, et donc le vendeur dans cette opération, exprime lui aussi sa grande satisfaction de voir l'affaire conclue. Mais il a toutefois une crainte: que la vente soit interprétée comme un effet de la volonté du groupe Swissair de se désengager. «Cela fait deux ans que nous avons commencé des négociations, assure-t-il. Notre principale préoccupation était de trouver une alliance pour le casino, pas de vendre.» Une fois le partenaire idéal trouvé, la compagnie aérienne, toute à son recentrage, s'est volontiers retirée d'une telle activité. Désirant garder confidentiel le montant de la transaction, Hans Wiedemann précise que celle-ci permettra à son hôtel de réaliser un centre de fitness, ainsi qu'un parking.

En vue de la future attribution des concessions pour casinos A, une vingtaine de fiancés auraient approché l'établissement de Montreux, dont d'autres Français, mais également des Américains, des Berlinois, des Italiens ou des Autrichiens. Sans oublier les sociétés suisses de la branche (à savoir Swiss Casino, Novomatic, Golden Games), toutes trois en quête d'un pilier romand.

Le groupe Lucien Barrière, qui présente son arrivée en Suisse comme la première étape d'une expansion européenne, est une entreprise de tradition familiale exploitant 13 casinos de France. Parmi ceux-ci, Cannes, Biarritz, et surtout Deauville, décrit par les promoteurs montreusiens comme le modèle de ce qu'ils voudraient réaliser sur la Riviera vaudoise. Au projet de casino urbain et centré sur les activités de jeu de la Romande des Jeux, ils opposent leur concept régional d'offre touristique globale, incluant gastronomie et divertissements.

«Preuve de confiance»

Avec cette modification de l'actionnariat, Montreux caresse l'espoir de reprendre l'avantage sur ses rivaux de la Romande des Jeux, dont le projet de casino A, à Lausanne, bénéficie du soutien des pouvoirs publics. Le secret des tractations, en tout cas, avait été bien gardé. Les députés vaudois, qui ont eu de vifs échanges à propos des casinos il y a quelques jours encore, en ignoraient absolument tout, tandis que leur collègue Pierre Salvi, le syndic socialiste de Montreux, s'efforçait vainement d'obtenir une résolution du Grand Conseil en faveur du projet montreusien.

«En achetant avant même de savoir si le casino A nous sera attribué ou non, le groupe français donne une belle preuve de sa confiance dans la région», notent les partisans montreusiens. Mais Lucien Barrière voulait la majorité. Certes, la plupart des candidats à une concession A se sont alliés a des groupes étrangers, pour pallier le manque d'expérience helvétique, mais à ce jour seul le casino de Saxon a carrément passé en mains étrangères, en l'occurrence celles de la Compagnie européenne des casinos, un autre groupe français, qui exploite Divonne et soutient, à Meyrin, un projet concurrent à celui de la Ville de Genève.

Le changement de partenaires en cours de route ainsi que le passage du contrôle de l'autre côté de la frontière ne risquent-ils pas de desservir le dossier de Montreux, à quelques mois d'une décision fédérale qui devra départager l'intérêt public de celui des privés? «C'est l'heure de l'ouverture européenne, comment pourrait-on faire la fine bouche?», rétorque le syndic Pierre Salvi.

La commission fédérale donnera son préavis au Conseil fédéral en automne, après avoir éliminé d'elle-même, en mars, parmi une soixaintaine de dossiers, les candidatures ne répondant pas aux conditions. Formellement, cette commission doit encore approuver, le 28 février, l'arrivée du groupe Lucien Barrière au Casino de Montreux.

(source : letemps.ch/Yelmarc Roulet)

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