L’organisation des loteries et des casinos doit être dépolitisée
Samedi 18 juin 2022
Un «cartel d'intérêts» empêche une réforme des jeux de hasard en Suisse qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps
La distribution de l’argent des jeux de hasard suscite régulièrement des remous. La raison de ce problème est simple : l’organisation en Suisse du secteur des jeux de hasard est désuète. Une réforme digne de ce nom s’impose, soulignent Jürg Müller et Basil Ammann.
En Suisse, les jeux de hasard rapportent chaque année environ 1 milliard de francs, qui sont distribués selon des buts définis par le monde politique. La majeure partie de cette somme provient des loteries et des paris sportifs organisés par les cantons. Au fil des années, c’est une véritable «industrie de la distribution d’argent» qui s’est établie dans les cantons autour des deux opérateurs de loterie, Swisslos et la Loterie romande. L’argent des jeux de hasard est distribué dans des projets parfois controversés.
Le reste du milliard de francs redistribué provient des casinos, dont une grande partie est reversée à l’AVS. Ainsi, un domaine politique central au niveau fédéral dépend des fonds issus des jeux de hasard. En atteste la récente décision de principe du Conseil fédéral concernant l’octroi de nouvelles concessions de casinos, car l’ancien système est maintenu, et en octroyant deux concessions supplémentaires, on tente encore de maximiser le profit. De plus, certains casinos remplissent aussi les caisses de l’Etat de leur canton ou commune d’implantation. En 2019 par exemple, quelque 11,5 millions de francs ont été versés par le casino de Meyrin au canton de Genève sans affectation particulière.
Inefficacité et conflits d’intérêt
La répartition actuelle est inefficace. D’après notre estimation, les coûts administratifs des quelque 80 fonds de loterie cantonaux se situent entre 16 et 22 millions de francs par an ; et l’ensemble des coûts de friction du système actuel est encore plus élevé. Mais les conflits d’intérêts créés par les différents rôles assumés par l’Etat sont bien plus graves.
D’abord, le rôle central de l’Etat en tant que régulateur est affaibli, ce qui met en péril la lutte contre la dépendance au jeu. Ensuite, le «cartel d’intérêts» autour de l’argent issu des jeux de hasard empêche une réforme fondamentale de ce secteur, alors que la progression de la numérisation exige le contraire. Depuis peu, il n’y a pas que les casinos en ligne «classiques» qui posent problème aux régulateurs, mais aussi de plus en plus de nouvelles formes de jeux de hasard, comme par exemple ceux basés sur la technologie blockchain.
Le système suisse, qui s’est développé au fil du temps, est particulièrement touché par l’évolution technologique. Une nouvelle loi sur les jeux d’argent est certes entrée en vigueur en 2019, mais elle n’a en aucun cas résolu les problèmes fondamentaux du secteur. La nécessité d’agir au niveau législatif est plus pressante que jamais. Avenir Suisse propose, dans une étude publiée récemment, un agenda de réformes.
Redistribution directe à la population
Premièrement, l’Etat ne doit plus participer aux opérateurs de jeux de hasard et doit dépolitiser les fonds issus de ce secteur. Pour atteindre cet objectif, il pourrait redistribuer les gains directement à la population. D’après des données de 2019, cela représenterait environ 115 francs par habitant et par an. Une telle distribution serait non seulement plus efficace et équitable, mais elle permettrait également de résoudre les délicats conflits d’intérêts, avant tout cantonaux, dans le secteur des jeux de hasard en Suisse.
Cela permettrait, dans un deuxième temps, de revoir l’organisation actuelle des institutions interdépendantes et complexes. Le marché des jeux de hasard est aujourd’hui réparti arbitrairement entre la Confédération et les cantons, chaque niveau étatique déployant ses autorités de régulation. Il faut fusionner les organes de surveillance afin de renforcer le rôle du régulateur.
Enfin, ce réajustement institutionnel permettrait une réorganisation en profondeur de la réglementation des jeux de hasard. Une approche modulaire s’impose, avec d’une part une licence de base et d’autre part des autorisations pour des formes de jeu spécifiques. Le principe «analogique first» qui prévaut encore pourrait être supprimé et la réglementation adaptée aux défis à venir. Aujourd’hui, une telle modernisation est entravée par les différents conflits d’intérêt de l’Etat. Il faut donc revoir les problèmes du secteur suisse des jeux de hasard étape par étape. Ce n’est qu’ainsi que le problème de la dépendance au jeu, qui a toujours été considéré comme central par la société, pourra être abordé durablement à l’ère du numérique.
(source : avenir-suisse.ch/ Basil Ammann / Jürg Müller)
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